La perspective de délocalisation de Biogaran soulève des enjeux éthiques et de souveraineté
L’avenir du leader français du médicament générique, Biogaran, est actuellement en suspens suite à l’annonce que les laboratoires Servier envisagent de vendre leur filiale. Cette décision pourrait entraîner une délocalisation de la production vers des pays comme l’Inde ou la Chine, étant donné que deux groupes indiens, Torrent Pharmaceuticals et Aurobindo Pharma, sont les principaux candidats à la reprise. Une telle orientation serait contraire aux récents efforts de relocalisation prônés par l’État français, qui visent à renforcer la souveraineté nationale et la santé publique.
La possibilité de délocaliser la fabrication de médicaments essentiels suscite de vives inquiétudes. Bernard Bégaud, professeur émérite en pharmacologie médicale, exprime sa préoccupation face au risque de dépendance excessive vis-à-vis de pays non européens pour l’approvisionnement en traitements vitaux, tels que les anticancéreux, les médicaments contre le diabète ou les troubles cardiovasculaires. La nature volatile des relations géopolitiques actuelles accentue cette préoccupation, comme illustré par les récentes tensions entraînées par les agissements de la Russie en matière énergétique.
Des conditions de concurrence et de travail déloyales soulignées par les experts
Le modèle économique actuel du secteur pharmaceutique, fondé sur la sous-traitance, crée un environnement où les facilités de production en Europe ont du mal à rivaliser avec celles de l’Inde et de la Chine, notamment en termes de coûts. Clémence Marque, pharmacienne et conférencière diplômée d’HEC, souligne l’existence d’une concurrence déloyale liée aux différences notables au niveau des conditions sociales et environnementales, qui ne sont pas alignées sur les normes européennes. Ce déséquilibre est aggravé par les problèmes de protection sociale et de conditions de travail dans ces pays, affectant directement le coût de production des médicaments.
La situation est encore aggravée par les prix extrêmement bas de nombreux médicaments essentiels en France. Ces prix, selon Bernard Bégaud, résultent d’un accord tacite entre l’État et l’industrie pharmaceutique qui privilégie l’innovation au détriment de la profitabilité des médicaments plus anciens. Il en résulte un environnement où les bénéfices sont de plus en plus difficiles à réaliser pour les fabricants locaux.
L’éthique du médicament au second plan derrière la réalité économique
De plus, la question éthique dans l’industrie du médicament, bien qu’elle gagne du terrain dans d’autres domaines tels que la mode ou l’agroalimentaire, semble être reléguée au second plan par les réalités économiques. Le patient moyen n’a guère de contrôle sur l’origine de la production des médicaments qu’il consomme, et même la possibilité pour les pharmaciens de choisir des médicaments fabriqués localement est limitée par les contraintes des catalogues et des contrats en place.
Les experts interrogés se veulent toutefois rassurants quant à la qualité des médicaments, assurant qu’un ensemble de normes strictes régissent la production, même à l’étranger. Ces contrôles sont exercés sous la surveillance de régulateurs comme l’ANSM, mais le patient lui-même n’a pas vraiment la possibilité de favoriser une consommation de médicaments éthique. C’est plutôt au niveau des politiques publiques et des achats hospitaliers que les décisions éthiques doivent être prises.