Le 17 mai dernier, les députés ont approuvé en commission le texte sur la fin de vie. Dès ce lundi, les discussions s’ouvrent dans l’Hémicycle sur ce projet de loi central, qui propose la légalisation de l’aide à mourir pour les personnes atteintes d’affections graves et incurables. C’est l’occasion de se demander dans quelle mesure les Français sont prêts à s’interroger sur leur propre mort. En effet, la mort, bien que taboue, est une réalité inévitable qui pourrait, selon certains, être mieux vécue si elle était mieux préparée.
Seulement 13 % de la population française a rédigé des directives anticipées, ces consignes visant à limiter ou arrêter un traitement en cas d’incapacité à exprimer sa volonté. Ce chiffre, émanant du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) en 2019, démontre une « insuffisance des efforts pour promouvoir cet outil auprès du public ». En 2022, un sondage de BVA Group pour le Centre National Fin de Vie – Soins Palliatifs a révélé que ces directives restaient « relativement peu connues » des Français. Pour beaucoup, avant de faire face à la maladie ou à la mort, il n’y a ni désir d’en parler, ni de l’imaginer.
Ainsi, pour 59 % des Français interrogés, la fin de vie ne les concerne pas encore. Ce contraste est accentué chez les plus de 65 ans, avec seulement 54 % d’entre eux se sentant concernés. Selon Sara Piazza, psychologue clinicienne, cette attitude dépend de la personnalité : une personne peu expressive ne parlera pas davantage de sa mort. Les directives anticipées semblent donc inefficaces pour ceux qui ont déjà des difficultés à aborder ces sujets sensibles.
Une question de confiance en la médecine et en l’entourage
Philippe Bataille, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), avance une autre hypothèse. Pour lui, le faible pourcentage de directives anticipées indique une certaine confiance en la médecine et en l’entourage pour accompagner les mourants. Selon Pierre Moulin, maître de conférences en psychologie sociale, il est crucial de ne pas figer les souhaits des individus à un moment donné de leur vie. En accompagnant des patients atteints de VIH, il a observé une évolution de leur perception de l’insupportable à mesure que la maladie progressait.
La peur de la dépendance, plus que la mort elle-même, semble prédominante. Pour Pierre Moulin, la dépendance est vue comme « l’horreur absolue », ce qui reflète une société obsédée par l’activité sociale et le jeunisme. La véritable préoccupation réside donc dans les conditions de la mort plutôt que dans la mort en elle-même. Il y a une forte impréparation à aborder ce sujet, que ce soit personnellement ou vis-à-vis des proches, d’autant plus que l’éducation à la mort reste quasiment inexistante.
Les perceptions de la mort et l’importance des conversations
Philippe Bataille rejette l’idée d’une politique de l’autruche face à la mort. Le marché funéraire en pleine expansion en atteste. En 2022, les sociétés d’assurance comptaient près de 5,3 millions de contrats d’assurance obsèques, marquant une hausse de plus de 50 % en dix ans selon Xerfi. C’est le signe que les Français pensent malgré tout à leur fin de vie, même si un « impensé » de la mort persiste.
Age | Sentiment de concernement |
---|---|
Général | 59 % |
65 ans et plus | 54 % |
Pierre Moulin observe que la mort reste une idée théorique jusqu’à un certain âge. Les jeunes ne se sentent pas concernés, contrairement aux personnes âgées qui accumulent des récits de « mauvaises morts », marqués par la solitude, la douleur et la dégradation. Ce décalage montre une impréparation, exacerbée par une absence d’éducation à la mort, laissant souvent les gens désemparés face à ce sujet difficile mais essentiel.