Spécialisée dans la technologie de pointe, en particulier l’identité biométrique, l’entreprise Idemia est largement connue pour la production de la carte Vitale française. Renommée pour ses innovations technologiques, la face cachée de cette société française soulève néanmoins des questions, suite à des déboires survenus tant sur le territoire national qu’à l’international.
La situation de Nijeer Parks, un charpentier afro-américain, illustre un cas alarmant. Accusé par erreur de vol à l’étalage et de tentative d’homicide, Parks a souffert d’un faux positif provenant d’un algorithme de reconnaissance faciale développé par Idemia. Cette erreur a entraîné son arrestation et une incarcération de 13 jours, malgré des preuves évidentes de son innocence. L’accentuation sur la confiance envers la technologie au détriment de preuves tangibles éveille des inquiétudes significatives relatives à la fiabilité et l’éthique de son utilisation.
Idemia se tient derrière une longue histoire commençant dans les années 1970 avec son ancien nom, Morpho. Originairement conçue comme une branche de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), l’entreprise a commencé par développer la biométrie dans les pays d’Afrique de l’Ouest. Bernard Didier, le fondateur de Morpho, rappelle l’importance de l’empreinte digitale dans l’établissement d’états-civils fiables dans ces régions.
Le tournant vers le secteur de la sécurité, notamment pour équiper les forces de police en France et aux États-Unis, a marqué la trajectoire d’Idemia. Malgré ce succès, l’entreprise a dû faire face à une affaire de corruption révélée par les investigations conjointes du parquet national financier (PNF) et de la National Crime Agency britannique, liée à l’attribution de marchés de cartes d’identité au Bangladesh.
Sanctions financières et répercussions
Année | Montant | Raison |
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2022 | 8 millions d’euros | Amende suite à un accord avec le PNF pour éviter un procès en rapport avec des accusations de corruption. |
En conséquence de cette sanction, une partie des services d’Idemia s’est vue interdire la participation à des appels d’offres émanant de la Banque mondiale pour une période de deux ans et demi. Cette décision affecte considérablement l’entreprise, puisque la Banque mondiale représente un financeur clé, notamment en Afrique où Idemia détient une présence significative dans le marché de la biométrie électorale.
La Domination d’Idemia en Afrique
La présence d’Idemia en Afrique se caractérise par son implication dans le déploiement de technologies biométriques lors de nombreux scrutins électoraux. Des recherches menées par Marielle Debos et Guillaume Desgranges de l’université Paris-Nanterre ont révélé que l’entreprise joue un rôle prépondérant sur ce continent, faisant d’elle l’un des leaders du marché de la biométrie électorale. Cela souligne l’influence étendue d’Idemia dans la gestion de systèmes d’identification qui sont désormais au cœur des processus démocratiques dans plusieurs pays africains.
L’essor de la biométrie dans les processus électoraux africains soulève de nombreuses interrogations, notamment sur le lien entre les entreprises fournissant cette technologie et les anciennes puissances coloniales. Un rapport fourni par les chercheurs Marielle Debos et Guillaume Desgranges pour AfriqueXXI met en lumière la présence récurrente d’Idemia (anciennement appelée Safran) lors des recensements biométriques électoraux sur le continent.
Ce même rapport indique que le scrutin présidentiel de 2010 en Côte d’Ivoire s’est avéré être le plus onéreux en Afrique avec un coût frôlant les 57 dollars par électeur. Un montant qui comprend 46 dollars alloués purement à la biométrie, faisant grimper la facture à 246 millions d’euros, réclamée par l’entreprise à l’État ivoirien. Bien que les méthodes semblent justifiées par la complexité de la mission allant au-delà de la seule élection, la question du coût et de son efficacité reste posée.
L’expérience kényane avec la biométrie
L’expérience du Kenya avec la biométrie lors de l’élection présidentielle de 2017 est une page sombre de l’histoire de ces technologies au service de la démocratie. L’ambition était de prévenir les violences qui avaient éclaté suite aux contentieux électoraux de 2007. Idemia avait fourni un système d’inscription biométrique des électeurs et des tablettes pour l’authentification et la transmission des résultats. Pourtant, des problèmes techniques ont conduit à l’annulation du scrutin par la Cour suprême kényane, remettant en cause la fiabilité de ces outils.
Cet échec n’a pourtant pas freiné la présence d’Idemia qui a participé, par la suite, au programme de carte d’identité biométrique en 2018, suscitant des inquiétudes au sein des communautés marginalisées, notamment les Nubiens qui peinaient à être intégrés dans ce nouveau système d’identification.
Tableau des coûts du scrutin présidentiel de 2010 en Côte d’Ivoire
Item | Coût par électeur (en dollars) | Coût total (en millions d’euros) |
---|---|---|
Coût total du scrutin | 57 | N/A |
Coût de la biométrie | 46 | 246 |
Problèmes techniques et conséquences lors des élections kényanes de 2017
Les dysfonctionnements notés en amont de l’élection incluent une préparation insuffisante et des tests peu concluants de la part des autorités kényanes et d’Idemia. Le jour du vote, les enjeux techniques se multiplient : tablettes défaillantes, connexion internet instable, et lecture des résultats compromise. Ces incidents ont abouti à une décision historique de la justice kényane de reprendre les élections.
Malgré ces contretemps, Idemia s’est félicitée de ses réalisations au Kenya, mettant en avant son engagement envers la démocratie kényane. Les remous juridiques et politiques consécutifs ne semblent pas éroder la confiance ni la présence d’Idemia en Afrique. En 2021, une tentative du Parlement kényan d’interdire la firme de tout contrat pendant une décennie a finalement été renversée par la Haute cour du Kenya.
La récente plainte déposée par l’ONG Data Rights auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) questionne la conformité d’Idemia à la législation européenne sur la protection des données, notamment le RGPD, lorsqu’elle opère hors de l’Europe. Cette plainte souligne l’importance de la sécurité des données personnelles dans le contexte global de digitalisation des élections.